Zoos et cirques : une mauvaise éducation à propos des animaux
par Sue Donaldson et Will Kymlicka
Publié le vendredi 6 mai 2016 dans The Globe and Mail: “Zoos and circuses: The wrong kind of education about animals” et traduit de l’anglais par Christiane Bailey.
“Captive animals show young people that animals don’t have the fundamental rights to freedom, privacy or to live their own lives”
– Sue Donaldson and Will Kymlicka
“Plusieurs Canadiennes et Canadiens ont hoché la tête en signe d’approbation en apprenant la retraite des éléphants des cirques Ringling Brothers et ont grincé des dents devant les photos de Justin Bieber aux côtés de son « tigre à louer ». Suivant la récente décision de Sea World de cesser la reproduction des orques en captivité, ces réactions suggèrent un malaise grandissant dans l’opinion publique à propos de l’éthique de la captivité et de la reproduction des animaux à des fins de divertissement.
Les éléphants, les tigres et les dauphins dans la nature parcourent de grandes distances, négociant des environnements physiques infiniment riches et des mondes sociaux complexes. Le niveau de privation impliqué dans leur captivité – la solitude, l’ennui, la stérilité abrutissante – est terrible à contempler.
Ce malaise grandissant au sein du public a poussé l’industrie multimilliardaire des zoos à refaire l’image des zoos comme des institutions à vocation « éducative » et non de « divertissement » dans l’espoir que cela rende la captivité plus acceptable. Mais ce déplacement est bien plus lié à l’expérience humaine qu’à la situation des animaux eux-mêmes. Pour eux, les privations sociales et environnementales restent très réelles, et les soi-disant habitats enrichis ne font polir une réalité de contrôle strict, de manipulation et d’appauvrissement, peu importe que les animaux soient ou non entraînés pour des performances publiques.
De plus, la distinction entre éducation et divertissement est égarante. Les cirques, les parcs aquatiques et les zoos sont tous impliqués dans l’éducation. Malheureusement, ce n’est pas le type d’éducation dont l’industrie se targue – éveiller chez les enfants l’amour, le respect et l’admiration pour les animaux sauvages, les informer sur les comportements animaux « naturels » ou conscientiser sur les menaces des animaux et de leurs habitats.
Au contraire, un champ de recherches en plein essor a documenté le « curriculum caché » de l’industrie des animaux captifs, indiquant que la réelle fonction éducative est d’inculquer aux enfants l’idéologie de la suprématie humaine et de les éloigner de l’empathie interespèce.
Des travaux pionniers de psychologues, comme Gail Melson révèlent que les jeunes enfants reconnaissent naturellement les animaux comme des êtres intentionnels avec leur propre vie mentale et leur propre vie à vivre.
Les animaux sont centraux dans le monde psychologique et social des enfants, objets d’amour et de fascination à l’état d’éveil et populant leurs rêves la nuit. Les enfants ne reconnaissent pas la hiérarchie humain-nonhumain; ils reconnaissent les animaux comme des amis, des voisins, des membres de la famille – comme des égaux.
Les enfants n’ont pas à être éduqués à respecter et à aimer les animaux. Au contraire, afin d’en venir à accepter les façons dont nos sociétés exploitent et mangent les animaux, les enfants doivent être éduqués à cesser de se soucier d’eux. Les zoos et les cirques participent de cette éducation. Les cages des zoos aident à construire physiquement cette séparation humain-animal. Ils apprennent aux enfants que les animaux n’ont pas droit à la liberté ou leur intimité, ni même aucun droit fondamental à vivre leurs propres vies. Ils apprennent aux enfants que les gens célébrés comme experts des animaux et soigneurs d’animaux sont les mêmes qui déchirent les familles et les amitiés d’animaux captifs, tuent les animaux en surplus et, dans certains cas, punissent les animaux afin qu’ils se comportent « de façon naturelle » ou performent selon les attentes.
Ce n’est pas seulement l’industrie des zoos et des cirques qui dissémine cette éducation idéologique. Un processus semblable a lieu dans les écoles. Cela commence dès les premières années lorsque les enfants élèvent des poussins dans les classes, ignorant ce qui leur arrive lorsqu’ils deviennent adultes. Ce processus d’endoctrinement est complet une douzaine d’années plus tard lorsque les élèves de biologie découpent des fœtus de cochons ou se lancent des yeux de bœufs en classe.
La recherche a systématiquement montré la supériorité pédagogique des alternatives à la dissection, le coût psychologique pour les étudiants forcés à manquer de respect pour les animaux et le taux disproportionné de jeunes femmes et d’étudiant.e.s autochtones qui choisissent de quitter une culture scientifique qui définit les animaux comme des objets expérimentaux et non comme des sujets vivants. Et pourtant cette pratique continue en tant qu’élément clé de notre éducation idéologique dans la séparation humain-animal.
Dans son récent livre, Are We Smart Enough to Know How Smart Animals Are?, Frans de Waal raconte l’histoire de chimpanzés au Zoo de Londres ayant été introduits au thé d’après-midi anticipant les dégâts qu’ils feraient, permettant aux spectateurs de rire d’eux, rassurés de la supériorité de la civilisation humaine. En réalité, les chimpanzés ont rapidement appris comme utiliser le pot de thé et les tasses, s’asseyant à la table pour apprécier leur tasse de thé. Ce n’était pas le bon message et les chimpanzés ont été « éduqués à recracher le thé, lancer de la nourriture et boire directement de la théière ».
Plusieurs études révèlent l’échec des zoos et des cirques à nous éduquer à propos des capacités des animaux, de leurs sociétés et de leurs besoins en termes d’habitats. Ils sont beaucoup plus utiles à nous enseigner comme les dénigrer.”
Lire l’article original sur le site du Globe and Mail : http://www.theglobeandmail.com/opinion/zoos-and-circuses-the-wrong-kind-of-education-about-animals/article29905445/
Sue Donaldson et Will Kymlicka sont co-fondateurs de APPLE – Animals in Philosophy, Politics, Law and Ethics research initiative à Queen’s University (Ontario, Canada). Ils ont publié Zoopolis. A Political Theory of Animal Rights chez Oxford University Press en 2011.