Au téléjournal du 10 février 2024, j’ai eu la chance d’être en entrevue pour commenter les nouvelles règles de protection des animaux domestiqués au Québec.
Radio-Canada a aussi publié un article plus complet sur le sujet.
Dégriffage et autres chirurgies vétérinaires désormais interdits au Québec
(Radio-Canada, 10 février 2024). (Télécharger le PDF)
Voici un extrait :
Les animaux d’élevage oubliés
Du côté des mouvements de défense des droits des animaux, on salue une avancée majeure, qui témoigne d’une évolution de la société québécoise et qui fait elle-même écho à “une grande révolution” dans les sociétés occidentales. “Elles sont en train de revoir en profondeur leur façon de considérer les animaux“, observe la philosophe Christiane Bailey.
Les nouvelles connaissances scientifiques sur la vie mentale et sociale des animaux sont en effet venues balayer de nombreuses croyances. “Nous savons maintenant que leur vie mentale est beaucoup plus riche et complexe qu’on ne le pensait. De plus, en éthique et en politique, on reconnaît de plus en plus que ce qui compte, c’est la capacité d’être un individu vulnérable, qui a des émotions“, souligne-t-elle.
Sophie Gaillard, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques à la SPCA de Montréal, rappelle que le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord qui “a reconnu formellement en droit les animaux comme des êtres doués de sensibilité”, dans la loi 54, adoptée en décembre 2015. Avant cette loi, un animal était considéré comme un bien et avait les mêmes droits qu’un meuble au Québec.
Me Gaillard regrette néanmoins que cette loi inscrite dans le Code civil ne se traduise pas nécessairement par des changements concrets, notamment en ce qui concerne les animaux de ferme, qui sont les grands oubliés de ce nouveau règlement.
“On a vraiment un système à deux vitesses au Québec. Les animaux de compagnie sont bien traités, avec une protection assez robuste. Les animaux d’élevage, eux, sont exemptés des principales protections de la loi, ce qui fait que c’est l’industrie elle-même qui détermine ce qui est permis et acceptable.” (Sophie Gaillarde, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques à la SPCA de Montréal)
Cette situation ouvre la porte à des pratiques qui compromettent leur bien-être, dénonce-t-elle, en citant l’exemple de la castration sans anesthésie, réalisée de manière routinière dans les élevages porcins. “Si on faisait la même chose à un chat ou un chien, on serait passible d’emprisonnement.”
Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) se défend en rappelant l’existence des « Codes de pratique pour le soin et la manipulation des animaux d’élevage », utilisés pour mettre en application cette loi. Ils sont élaborés “de manière collaborative par des organismes de défense du bien-être animal, des médecins vétérinaires, des éleveurs, des chercheurs en bien-être animal, des gouvernements, des transformateurs, des entreprises alimentaires et d’autres acteurs soucieux du soin et du bien-être des animaux d’élevage”, fait valoir son relationniste.
UNE FRONTIÈRE MORALE
Pour Christiane Bailey toutefois, il existe une frontière morale “entre les animaux qu’on mange et les animaux qu’on aime, qui n’est pas justifiable d’un point de vue philosophique“.
“Les animaux de ferme dépendent de nos sociétés, de nos soins, ils sont sous notre contrôle total et c’est une responsabilité collective de prendre soin d’eux et de veiller à leur protection.” (Christiane Bailey, philosophe)
Pour elle, un des problèmes réside dans le double mandat du MAPAQ, qui doit à la fois veiller à la protection des animaux d’élevage et s’occuper de leur exploitation. “Le ministère est dans un conflit d’intérêts. C’est pour ça que le mouvement pour le droit des animaux demande la création d’un ministère dédié ou dépendant du ministère de la Justice pour mieux les protéger.”
Du côté du MAPAQ, on assure que l’amélioration de la condition animale est au cœur des préoccupations des nombreux professionnels qui y travaillent, médecins vétérinaires, agronomes ou techniciens en santé animale. “Le bien-être animal est un domaine en évolution et le ministère suit les avancées scientifiques et sociétales en la matière”, affirme son relationniste.
Me Gaillard constate cependant un retard du Québec par rapport à la réglementation européenne, notamment. “Beaucoup de pratiques en vigueur au Québec y sont interdites en raison de la souffrance qu’elles causent aux animaux”, explique-t-elle. Pour elle, elles sont forcément appelées à évoluer, car la société québécoise tolère de moins en moins ce qui se passe dans les élevages.
Avec les informations d’Elyse Allard