Séminaire Animalité Archives Husserl

Philosophie Animale

Groupe de Travail des Archives Husserl : Philosophie et phénoménologie de l’animalité

dimanche 30 octobre 2011

Nicolas Delon et Raphaël Larrère le 5 novembre aux Archives Husserl, Paris

Pour cette deuxième séance du Groupe de Travail des Archives Husserl, nous avons le plaisir de recevoir :
Nicolas Delon et Raphaël Larrère

Les animaux dexpérimentations : objets techniques, objets éthiques
Dans cet exposé conjoint nous aimerions présenter l’expérimentation animale comme un champ d’activité où l’animal en général (mais à différents degrés) apparaît contradictoirement comme un objet technique et un objet éthique. L’expérimentation comme problème fait l’objet d’une part des théories morales (éthiques animales), d’autre part du point de vue, en partie moral, de ses acteurs mêmes. La première partie de cette étude portera sur les principales positions en éthique animale sur la question (utilitarisme, kantisme, théorie des droits, contractualisme, capabilités, care). Après avoir montré que l’expérimentation animale est bien un problème éthique, on analysera les forces et les limites des principales positions, pour défendre une forme de contextualisme : le cadre expérimental est un contexte particulier, mais il faudra se demander dans quelle mesure il est pertinent au point de justifier une différence de traitement par rapport à d’autres contextes quant à eux véritablement pertinents (communauté domestique par exemple). Il importera également de souligner la diversité des catégories d’animaux impliqués dans l’expérimentation (des rats aux primates en passant par les vaches). Cette complexité intrinsèque (contextuelle et catégorielle) de l’expérimentation est renforcée par les prétendus conflits d’intérêts (humains vs. animaux) qui s’y joueraient. L’utilisation de l’utilitarisme pour légitimer la plupart des formes d’expérimentation (scientifique, médicale) peut être interrogée, comme l’idée même que l’expérimentation serait une sorte de cas « canot de sauvetage » (life-boat case). Derrière l’apparente évidence que le bienfait de l’humanité et la liberté de la science légitiment de concevoir l’animal d’expérimentation comme un sacrifié exceptionnel, se joue la routine d’une réduction de celui-ci à une simple chose (un instrument, certes précieux, au service de la science ou d’une production), en contradiction avec la valeur non instrumentale par ailleurs reconnue aux mêmes animaux et avec les présupposés épistémologiques mêmes de l’expérimentation. Or, comme le montrera la seconde partie de l’exposé, même sur le terrain cette réduction ne va pas, en pratique, de soi aux yeux de tous.
La deuxième partie partira donc du terrain pour présenter ce qu’on peut appeler l’ « éthique spontanée » des acteurs de l’expérimentation (chercheurs, techniciens, animaliers). Cette éthique consiste en un « bricolage éthique », révélateur du problème même que nous avons identifié, mais porteur en même temps d’une tension entre le statut moral ambivalent de différents animaux (jusqu’au cas singulier de l’animal cloné, d’autant plus chéri qu’il est le fruit de nombreux ratés) et les exigences (scientifiques, techniques, économiques) de l’expérimentation. Instrument technique, l’animal est en même temps un être vivant perçu comme tel. De l’utilitarisme (en réalité biaisé) officiel de la recherche au kantisme spontané (« respect » et « dignité ») de celui qui a directement affaire à l’animal, on trouve une variété de positions et de conflits qui traduisent un malaise plus général face à un objet ambivalent. L’intérêt d’une telle étude est de souligner les enjeux institutionnels du contexte qu’est le cadre expérimental. Aux problèmes éthiques soulevés par le sort des animaux eux-mêmes s’ajoutent, souvent ignorés, des problèmes éthiques (d’ordre hiérarchique et psychologique) rencontrés par les acteurs eux-mêmes. L’éthique spontanée des animaliers doit être prise au sérieux et accompagnée, d’autant plus qu’elle suscite des résistances de la part des acteurs hiérarchiquement supérieurs (chercheurs), pour qui considérer l’expérimentation comme un problème éthique serait en soi porter atteinte à la science. Plusieurs anecdotes récoltées directement auprès des différents acteurs reflètent ces multiples tensions, notamment au sein de l’Inra, et éclairent de l’intérieur le problème, moral et social, que constitue l’expérimentation animale.
Références
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Cochrane, Alasdair (2007), « Animal rights and animal experiments : an interest-based approach », Res publica, 13 (3), pp. 293-318
de Montera, Béatrice (2007), « Le clonage animal : de l’animal de laboratoire, à l’animal de production, à l’animal de compagnie », in Parizeau, M.-H., Chapouthier, G. (éds), LÊtre humain, lanimal et la technique, Québec, Presses de l’Université Laval, 97-119
Despret, Vinciane (2009), Penser comme un rat, Versailles, Quae, « Sciences en questions »
Diamond, Cora (1995), « Experimenting on animals : A problem in ethics », The Realistic Spirit: Wittgenstein, Philosophy, and the Mind, Cambridge, Mass., The MIT Press, 1995, trad. E. Halais, J.-Y. Mondon, Lesprit réaliste. Wittgenstein, la philosophie et lesprit, Paris, PUF, 2004
Donovan Josephine, Adams Carol. J. (2007) (éds.), The Feminist Care Tradition in Animal Ethics. A Reader, New York, Columbia University Press
Fox, Michael (1986), The Case for Animal Experimentation, Berkeley: University of California Press
Korsgaard, Christine (2004), « Fellow Creatures: Kantian Ethics and Our Duties to Animals », The Tanner Lectures on Human Values, University of Michigan, 6 Février 2004
Larrère, Raphaël (2002), « Ethique et expérimentation animale », Natures Sciences Sociétés, 10 (1), pp. 24-32
Lhoste, Evelyne, de Montera, Béatrice (2011), « L’expérimentation animale : une responsabilité à dire et à partager », Natures Sciences Sociétés, 19 (2), pp. 165-172
Marguénaud, Jean-Pierre (2011), Expérimentation animale : entre droit et liberté, Versailles, Quae, « Sciences en questions »
Marguénaud, J.-P., Burgat, F., Leroy, J. (éds.), Revue semestrielle droit animalier, 1/2009, Dossier thématique : l’expérimentation animale
Nussbaum, Martha (2006), Frontiers of Justice : Disability, Nationality, Species Membership, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press
Palmer, Clare (2010), Animal Ethics in Context, New York, Columbia University Press
Porcher, Jocelyne (2002), « L’occultation de l’affectivité dans l’expérimentation animale : le paradoxe des protocoles », Natures Sciences Sociétés, 10 (1), pp. 33-36
Regan, Tom (1983), The Case for Animal Rights, Berkeley, University of California Press
Rowlands, Mark (1997), « Contractarianism and animal rights », Journal of Applied Philosophy, 14 (3), pp. 235–247
Singer, Peter (1975), Animal Liberation, New York, Avon Books

mardi 11 octobre 2011

Compte-rendu de l’exposé de Tristan Garcia

Pour expliquer comment a pu naître ce projet de faire parler un singe, Tristan Garcia a proposé de revenir sur un certain nombre d’insatisfactions rencontrées dans son éducation scolaire sur la question du point de vue de l’animal.
     1° La première insatisfaction est philosophique : c’est un paragraphe célèbre des Leçons sur la philosophie de l’Histoire : “on ne sait ce que cachent ces bêtes,  et on ne peut jamais se fier à elles. Un chat noir aux yeux ardents tantôt rampant, tantôt bondissant à vive allure, passait jadis pour révéler la présence d’un être malin, d’un fantôme incompris qui se renferme en lui-même ; les animaux sont l’inintelligible.” L’animal serait une subjectivité enfermée dans ses limites, incapable de s’exprimer. Cette phrase pénétrait toute une part de la tradition occidentale philosophique et littéraire, par exemple strophe des “Chats” de Baudelaire. On lui trouve un charme dans cette opacité.
     2° Une phrase de Valéry : “l’homme est un animal enfermé – à l’extérieur de sa cage”. On retrouve une ligne de pensée qui peut résonner avec des phrases sartriennes, sur l’homme comme étant projeté hors du monde. En négatif, ce qui n’est pas l’humain  n’est pas enfermé dehors mais enfermé quand même. L’animal se trouve enfermé dedans, dans sa prison, dans son soi. Cela évoquait le poème de Blake sur la panthère. L’animal fascine quand il est une intériorité enfermée.
     3° Dans la nouvelle de Poe intitulée “Le Chat noir”, plus le narrateur s’aperçoit que son chat manifeste son affection, vient se frotter contre lui, plus il est envahi par une perversité, il veut lui faire du mal. Il finit par tuer le chat et sa femme. Puis le chat revient. Le narrateur ne supporte pas le regard du chat. C’est pourquoi il l’emmure. Mais la police le retrouve par ses miaulement. On a beau enfermer le chat noir de Hegel, il a encore une voix qui fait que le mur tombe.
     Donc en littérature il faut en finir avec cette image hégélienne et laisser s’exprimer l’animal. Mais comment faire ? D’un point de vue littéraire, il fallait lui donner la parole, car il n’y a ni sons ni images. Il va falloir lui donner des mots. Comment écrire quelque chose qui pourrait donner un langage à un animal ? Il y a eu trois étapes.
     1° Cela avait déjà été essayé concrètement en science, ce qu’il a découvert en suivant les cours d’éthologie de Dominique Lestel. Mais cela ne suffisait pas pour produire ce langage de l’intérieur de l’animal.
     2° Lectures d’enfance. Pour un enfant, le fait que les animaux parlent va de soi, parce qu’on lit des mythes, contes fables. a/ Le problème des mythes quand on donne la parole aux animaux, c’est que c’est dans un temps antérieur. Il y a donc une raison pour laquelle ils ne parlent plus. C’est le cas du mythe du messager perverti donnant lieu au mythe du bouc-émissaire. C’est parce que certains animaux ne portent pas la parole des dieux aux hommes qu’ils vont être condamnés à perdre cette parole. b/ Est-ce que ce serait les contes pour enfant ? Animaux ne disent pas ce que ça fait d’être animal. c/ Quant aux fables, le langage donné aux animaux est particulièrement civilisé et destiné à exprimer moins une animalité que des problèmes de civilisation.
     3° Reste la littérature adolescente qu’est la science-fiction : il arrive que les animaux parlent. a/ Kafka, dans le Rapport pour une Académie. Cette nouvelle raconte comment un singe qu’on a sorti de la jungle, pour s’en sortir, comme il le répète, est obligé de se plier aux exigences de l’homme et d’apprendre à vivre comme lui, ce qui signifie parler mais aussi boire de la gnole. Il finit comme une sorte d’épave. S’il a appris le langage, ce n’est pas pour progresser, mais pour s’en sortir. On retrouve l’image de l’animal enfermé en lui-même qui doit apprendre à parler pour s’en sortir. Cela se retrouve dans le roman : si Doogie apprend à parler, c’est pour faire plaisir à ses éducateurs. b/ Simak, Demain les chiens : les hommes sont partis de la terre. Celle-ci est laissée en héritage à d’autres espèces pour qu’elles la gardent dans le souvenir de l’homme parti dans les étoiles. La terre est confiée à leur plus fidèle serviteur : aux chiens, qui sont accompagnés néanmoins de robots. La question de l’apprentissage du langage se pose, au contraire de chez Kafka. Les chiens arrivent à parler par un artifice technique : une sorte de vocodeur qui leur permet de vocaliser. Cette idée se retrouve dans le dessin-animé Là-Haut (Up) des studios Pixar. c/ Un pas supplémentaire est franchi sur le chemin d’un réalisme éthologique, avec Robert Merle, Un Animal doué de raison : dans un contexte de Guerre froide, un professeur éduque un couple de dauphins. Il leur apprend à communiquer. En augmentant l’intelligence de ces animaux, naturellement ils en arrivent à parler. d/ Derniers textes ayant eu une influence : Congo de Michael Crichton, et Le Cycle de l’élévation de David Brin. Celui-ci imagine une communauté intergalactique d’espèces évoluées, les néo-chimpanzés et les dauphins, qui jouent sur l’échelle de l’évolution en essayant d’amener progressivement d’autres espèces sur des planètes et de les éduquer, notamment au langage. Cela pose des questions morales classiques, comme celle de savoir comment apprendre au lion à ne pas dévorer antilope.
     Mémoires de la jungle a donc puisé dans tous ces textes. On a gardé le contenu philosophique du texte de Kafka, le merveilleux et l’absence mélancolique de l’homme de Simak, l’attention à l’éthologie avec Merle et un sens de l’aventure et du refus du ridicule avec Crichton ou Brin. Cela fait souvent rire de faire parler un animal. Comment éviter le ridicule ?
     Le narrateur est Doogie, qui n’est pas tant un sujet au sens classique, sûr de lui quand il prend la parole, que le résultat d’un dispositif complexe. Souvent par sa voix ce sont ses éducateurs qui parlent. Il finit par incorporer les phrases apprises et il essaye de devenir un sujet. Il veut être fidèle à l’humain, mais il se retrouve coincé entre une supposée pure nature de chimpanzé et une supposée culture humaine qu’il n’arrive pas à acquérir et à défendre jusqu’au bout.
     Comment éviter d’être ridicule quand on fait parler un animal ? Si l’on identifie trop cette voix à un singe, on risque d’être trop décalé par rapport au langage humain. Mais si c’est trop expérimental, que l’on transforme trop le langage, on perd la compréhension de ce qui est communiqué. 3° On opte pour une troisième voie : en faisant semblant de prendre la voix d’un singe qui essaye de prendre la voix d’un être humain. C’est donc une analogie entre des pas à franchir. Résultat : s’il y a un point de vue, c’est moins celui d’un foyer, d’une intériorité qui rayonnerait sur le monde, que d’un flux où l’on a une voix pénétrée de langage humain qui essaye de se réaliser mais reste un entrelacs, où il y a le flot de son éducation, la mémoire, et celui de la nature, le flux.
    Ainsi, page 104, la jungle reflue vers Doogie. L’injonction centrale du livre est de tenir la fidélité à ce qu’il a appris, mais Doogie essaye de la tenir dans un environnement qui le ramène à son corps. On ne sait pas si c’est un point de vue ou un sujet, mais en tout cas le roman essaye de bâtir quelqu’un qui serait un animal d’une autre espèce que la nôtre, et pris entre ces flots contraires. Entre ces flots contraires, il s’agissait de faire naître un langage.
     Pour construire ce langage, un texte de Rousseau servait de fil conducteur, extrait du Discours sur l’origine des langues, dans lequel il parle notamment de l’écriture qui ne fixe pas la langue mais l’altère. En écrivant, on est moins dans la précision que dans le sentiment. De la même façon, le langage recherché pour construire le roman veut être fidèle aux “inflexions de toute espèce”. En oralisant l’écriture, il s’agit de reproduire une parole qui serait fidèle aux sons, aux inflexions, au tons, au rythme, qui serait celui du corps d’une autre espèce. On cherche à exprimer par un langage écrit quelque chose du son, d’un corps d’une autre espèce.
    Comment construire un langage fidèle à une autre espèce ? Ce langage est très réfléchi.
     1° On introduit ponctuellement des mots étrangers, de l’anglais, pour lui faire parler la langue de ceux qui l’ont formé, issus de l’éthologie anglo-saxonne. La différence entre monkey et ape ne passait pas en français. Cela permet donc d’introduire l’étrangeté. 2° Il s’agit d’une langue ludique, on joue par exemple sur le double sens de hurt pour la blessure, le mal, comme si c’était le sens français de heurter. 3° On recourt à des expressions savantes figées, détournées par Doogie, par exemple “Cher très cher respect”. Il faut que parle en Doogie quelque chose d’autre qui est le langage humain. Il est un miroir déformé de la manière dont un humain peut parler à un enfant. La représentation du temps utilise par exemple des images spatialisées, disant “tant de jours sont tombés du calendrier”. En régressant, il détourne le langage qu’il a appris. 4° Il y a un système de répétition pour exprimer le rythme d’une voix et d’un corps. Certains mots reviennent sans cesse sur eux-mêmes, pour faire sentir la nervosité du chimpanzé. On cherche à faire sentir au lecteur le rythme d’un corps. 5° Cris et onomatopées cherchent à rendre rendre sa voix naturelle. Par exemple, les voyelles sont plus ouvertes quand Doogie se trouve chez les bonobos, alors que le chimpanzé a des sonorités plus fermées. 6° Beaucoup de discours indirect se trouve mêlé au discours direct. Fréquemment, Doogie retrouve des phrases de son éducations, “Doogie, tu es un bon singe”, etc. Petit à petit il oublie ces phrases, allant vers un discours indirect de moins en distinct du discours direct. Doogie perd en grande partie son langage, “le ciel ciel, la terre terre”. Mais à mesure qu’il perd ce langage, il se construit, il devient soi.
     Pour conclure, ce livre a tâché de construire un point de vue hybridé entre la mémoire et la jungle. C’est à la fois une expérience et une aventure, une expérience de langage et un récit d’aventures. L’animal tente une sortie de soi, une aventure hors de soi. La confluence entre nature et animal permet une sortie de soi à l’animal qui va vers le dehors. On s’oppose donc à l’idée vue au début d’une animalité renfermée en elle-même. A la croisée entre homme et animal, dans la représentation pourrait exister une subjectivité interspecifique. C’est un essai. Entre l’en-soi de la nature et le pour-soi de la culture, il y aurait ce roman.

jeudi 29 septembre 2011

Tristan Garcia le 8 octobre aux Archives Husserl, Paris

Le groupe de travail des Archives Husserl sur l’animalité reprend le samedi 8 octobre à 14h à l’ENS, Paris (45 rue d’Ulm, salle Celan).
Pour cette première séance de l’année, nous avons le plaisir de recevoir :
Tristan Garcia
Le point de vue du chimpanzé Doogie. L’expérience fictionnelle de Mémoires de la Jungle


     « Ma nature est chimpanzé commun, mais j’ai la culture humaine. »
   Ainsi s’exprime le surprenant narrateur que le philosophe et romancier Tristan Garcia fait parler dans Mémoires de la jungle, paru en 2010 chez Gallimard. Le roman nous immerge dans le flux de conscience de ce singe éduqué à la manière des humains mais qui, replongé dans la jungle, devra redécouvrir la nature (et sa nature de chimpanzé ?) pour survivre.
     Entre roman d’apprentissage et conte métaphysique, ce récit nous offrira l’occasion de nous interroger avec l’auteur sur les modalités de création et d’expression de ce point de vue animal qu’il nous donne à expérimenter.
     Si la littérature parvient à se nourrir des apports de l’éthologie pour exprimer une vision du monde appartenant à une autre espèce que la nôtre, la science ne pourrait-elle pas en retour s’inspirer de cette démarche pour élaborer cet anthropomorphisme encadré par une méthode que réclamait un primatologue comme Franz de Waal ?
     En adoptant une posture critique à l’égard des préjugés anthropocentriques rabaissant l’animal, et en oeuvrant à conférer au vécu de l’animal une réalité sensible à partir d’un moyen aussi anthropomorphique que le langage humain, la littérature n’assume-t-elle pas à sa façon le projet d’un anthropomorphisme sans anthropocentrisme ?

jeudi 22 septembre 2011

Présentation du séminaire 2011-2012 : Le point de vue animal

Le point de vue animal
Peut-on parler d’un point de vue de l’animal ? Dans une approche épistémologique, cette idée a souvent pu paraître creuse. Certains auteurs, dans la lignée de Thomas Nagel, nient que nous puissions sortir du point de vue humain et de voir le monde à la manière d’autres animaux.
Et pourtant, ce concept pourrait bien être fructueux pour s’affranchir d’une considération uniquement objectivante de l’animal et, ainsi, penser le mode propre d’existence des animaux. C’est une voie suivie par une certaine éthologie de terrain (celle de Jane Goodall par exemple) et qui a été explorée avec succès par Uexküll et diverses éthologies d’inspiration phénoménologique. Plus récemment, Vinciane Despret nous invite à « Penser comme un rat ». Prendre en compte le point de vue de l’animal serait la condition même d’un discours scientifique sur les animaux. Une phénoménologie du point de vue animal est-elle possible ?
On pourra alors s’inspirer de diverses métaphysiques du point de vue (de Leibniz à Deleuze) pour penser le rapport de l’animal au monde ou la place de l’animal dans le monde. On échappe ainsi aux impasses de la dichotomie sujet / objet ou à la limitation introduite par la distinction anthropologique. L’animal peut devenir l’objet d’un véritable discours philosophique.
Enfin, l’idée de point de vue situé s’accompagne de conséquences éthiques et politiques. Il permet de penser des relations, des responsabilités à l’égard des animaux et peut-être même des revendications de leur part.
       La notion de point de vue de l’animal pourrait donc constituer un outil d’analyse pour un discours sur les animaux, et pour différentes disciplines. Il s’agira donc d’évaluer sa signification et sa pertinence au croisement de la philosophie et de l’éthologie, mais aussi de la littérature, de l’histoire ou de l’anthropologie.

Programme du séminaire 2011-2012

CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UMR 8547 – Pays Germaniques – Archives Husserl
Groupe de Travail des Archives Husserl, 2011-2012
Coordonné par Anne Le Goff et Charles Martin-Freville
Philosophie et phénoménologie de l’animalité
Le samedi, une fois par mois, de 14h à 16h30 – sauf exception.
École Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm (Salle Celan)
Le point de vue animal
8 octobre 2011 :
Tristan GARCIA (écrivain et philosophe)
« Le point de vue de Doogie. L’expérience fictionnelle de Mémoires de la Jungle. »
5 novembre 2011 (Attention, changement de salle : salle de Conférence au 46 rue d’Ulm) :
Raphaël LARRERE (agronome et sociologue, INRA) et Nicolas DELON (philosophe, Université de Picardie)
« Les animaux d’expérimentation : objets techniques, objets éthiques. »
Mardi 13 décembre 2011, de 18h à 20h, salle Dussane (Attention : changement horaire et salle) :
Tetsuro MATSUZAWA (primatologue, Université de Kyoto) et Dominique LESTEL (philosophe, ENS, Archives Husserl)
« What is uniquely human ? The answers from the study of chimpanzee mind. »
21 janvier 2012 :
Catherine LARRERE (philosophe, Université Paris 1) et Dalila BOVET (éthologue, Université Paris X)
25 février 2012 :
Julien FARGES (philosophe, Archives Husserl)
« Penser le monde de la vie comme monde du vivant ? Le devenir de la biologie dans la phénoménologie husserlienne tardive. »
31 mars 2012 :
Valérie GLANSDORFF (philosophe, Université Libre de Bruxelles) et Charles STEPANOFF (ethnologue, Ecole Pratique des Hautes Etudes)
5 mai 2012 :
Eric BARATAY (historien, Université Lyon 3)
« Le point de vue animal, une autre version de l’Histoire. »
2 juin 2012 :
Vinciane DESPRET (philosophe, Université de Liège)

Liens

Published by

Christiane

Coordonatrice du Centre de justice sociale de l'Université Concordia (Montréal) - Coordinator Social Justice Centre (Concordia University, Montreal)

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