Par Christiane Bailey
(Voir l’album photo sur facebook)
Il y a dix ans, je participais à ma première marche pour la fermeture des abattoirs organisée par Kara (Kebek Animal Rights Association).
C’était en 2015. L’année de la loi BESA.
Votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, la loi BESA est supposée avoir transformé la façon dont l’État québécois et la société envisagent les êtres animaux. Désormais, les animaux ne sont plus des propriétés dans le code civil du Québec, mais des êtres sentients avec des besoins essentiels qu’on a l’obligation de respecter.
Mais 10 ans après cette révolution juridique, qu’est-ce qui a changé pour la majorité des animaux dans notre société ?
Chaque année, de plus en plus d’animaux sont tués dans nos abattoirs. Au Canada, c’est plus de 800 millions par année, 2,3 millions par jour (chiffres de 2022 du Devoir).
Un article de Radio-Canada explique que : “À l’abattoir de la compagnie Olymel à Yamachiche un ouvrier peut saigner 550 cochons à l’heure. Ça représente un animal à toutes les 6,5 secondes.” Dans un seul abattoir. Pour une seule personne.
La réalité est encore pire : ces données ne tiennent pas compte de tous les morts. On ne tue pas seulement les animaux dans les abattoirs, mais aussi dans les élevages, les maternités, les couvoirs et les encans.
Dès que les animaux sont inutiles, malades ou trop blessés, ils sont délibérément tués parce qu’ils ne sont plus profitables à l’industrie. Ces animaux inutiles sont un fardeau : au lieu de recevoir des soins, ils sont claqués sur les murs, frappés à la tête, décapités par des employés qui jettent ensuite les cadavres dans les poubelles, parfois encore vivants.
Des activistes témoignent – vidéo à l’appui – avoir trouvé des animaux agonisant dans des élevages.
Je veux aujourd’hui louer le travail de ces activistes : sans elles, sans eux, on ne saurait rien.
Si on sait ce qui s’y passe, ce n’est pas grâce à la transparence des autorités : c’est grâce à des activistes qui, souvent au péril de leur liberté, mènent des enquêtes sans autorisation. Elles filment, ils photographient — et révèlent ce que personne ne veut voir.
Ces images sont insoutenables. Mais elles sont nécessaires. Parce que fermer les yeux, c’est être complice. Et regarder, c’est commencer à agir.
Tout le monde est capable de comprendre qu’on ne devrait pas faire de mal aux animaux pour de la nourriture dont on n’a pas besoin. Mais peu de gens semblent prendre la mesure de la catastrophe morale qui se passe jour après jour dans les abattoirs.
La plupart des gens sont pourtant déjà d’accord avec le principe qu’on doit éviter de faire du mal aux animaux sans nécessité. Il est temps de mettre en pratique nos principes. Il n’est pas nécessaire de manger du bacon et du fromage pour être en santé.
On est ici pour dire la vérité. Les abattoirs sont des usines de mort, des lieux d’une violence extrême qui ne devraient pas exister. On ne va pas se taire.
On a le droit de savoir et le devoir d’informer.
Les activistes rendent un service à la société en permettant un débat social informé. C’est le seul moyen de savoir ce qui se passe, autrement que par des sources qui proviennent de l’industrie elle-même.
Les êtres animaux dans les élevages sont des espèces domestiquées, reproduites de façon sélective pour développer des traits qui nous sont utiles. La conséquence est qu’ils sont dépendants de nos soins. Ils sont sous notre domination et notre contrôle total. Ils sont très vulnérables à la négligence. Ils ont le droit d’être protégés, secourus et soignés.
La loi québécoise (BESA) stipule depuis 2015 qu’on a des responsabilités collectives et individuelles à l’égard des animaux. C’est le rôle des gouvernements de protéger les animaux domestiqués ou gardés en captivité. Si l’État échoue à le faire, c’est le devoir des citoyennes d’agir.
Les entrées sans permission sont justifiées lorsqu’on pense que des animaux sont en détresse et ont besoin d’aide et de soins médicaux d’urgence.
C’est ce qu’on appelle le mouvement du « right to rescue » ou du droit de secourir les animaux.
Quand un être animal est en détresse, on a non seulement le droit moral mais le devoir moral d’intervenir. Si un chien est enfermé dans une voiture en plein été, on sait qu’on doit agir. Pourquoi cette logique s’arrêterait-elle aux portes d’un abattoir ou d’un camion à « bétail » ?
Le right to rescue, c’est l’affirmation que sauver un animal de la détresse et d’une mort imminente n’est pas un crime. C’est la bonne chose à faire.
Le right to rescue, c’est le droit pour toute personne d’intervenir physiquement pour retirer un animal d’une situation de souffrance grave, imminente et évitable, lorsque les voies légales sont inefficaces ou inexistantes, même si cela implique de contrevenir à un droit de propriété. Rappelons-le, les animaux ne sont plus des choses.
Quand la loi autorise et ignore l’injustice, c’est juste de désobéir.
Face à un être animal qui souffre d’abus et de négligence, la seule question est : « Qu’est-ce que je peux faire, maintenant ? »
Il y a des justifications de principe à ces actions de libération directe des êtres animaux. Chaque individu compte. Mais aussi des justifications stratégiques : les sauvetages à visage découvert donnent l’occasion de mobiliser le système de justice.
Lorsque les animaux sont invisibles aux yeux de la loi, ce sont les poursuites d’activistes qui permettent de débattre de la légitimité de la violence organisée envers les animaux devant les tribunaux.
Aux États-Unis, plusieurs activistes affiliées au mouvement des open rescues ont été acquittés d’accusations de vol.
Les poursuites sont évidemment terribles pour les activistes, mais la stratégie des « procès volontaires » mis de l’avant par les open rescues (théorisée par Wayne Hsiung et Justin Marceau dans le Harvard Law Review en 2024), permet de tirer profit de l’attention médiatique d’un procès criminel et de plaider en cour pour les droits des animaux d’être secourus de situation de détresse et d’abus et de montrer au grand jour les violences ordinaires qui se cachent derrière nos assiettes.
On doit encourager et normaliser l’aide aux animaux. Aider les animaux, ce n’est pas un crime, c’est une responsabilité morale individuelle et collective.
On ne peut pas tous les sauver un par un. Il faut fermer le robinet de la violence. Comme l’explique la philosophe Candice Delmas, en cas de « périls persistants », on ne peut pas sauver toutes les victimes, on doit s’attaquer aux causes. Il faut un progrès moral et social.
On a bien des raisons de perdre espoir, mais on a aussi des raisons d’espérer.
Ça fait plus de 25 ans que je ne mange plus de produits d’abattoirs et 13 ans que je suis végane, et j’ai vu beaucoup de choses changer pour le mieux.
Au début des années 2000, j’étudiais la philosophie et on parlait rarement des droits des animaux. 25 ans plus tard, parler de véganisme et de spécisme dans les cégeps et les universités québécoises est de plus en plus répandu. Ces concepts sont entrés dans les dictionnaires et la langue courante.
À l’automne, à l’Université de Montréal, Valéry Giroux va donner un cours d’éthique animale dans le département de philosophie et Chloé Surprenant va donner un cours de droit animalier à la faculté de droit.
Dans les dernières années, plusieurs groupes ont vu le jour.
Je pense, bien sûr, au nouvel organisme BESA qui diffuse des enquêtes dans les élevages et les abattoirs qui vise à devenir le L214 du Québec.
Et le DAQ – Droit animalier Québec – est un organisme sans but lucratif qui défend les animaux devant les tribunaux et poursuit le gouvernement pour son inaction à protéger les êtres animaux vulnérables.
D’ailleurs, je veux vous inviter au premier cours d’éducation populaire en droit animalier que je coorganise cet automne avec Me Nicolas Morello à l’Université Concordia. 5 cours gratuits pour mieux comprendre les droits des animaux au Québec, leur potentiel et leurs limites.
L’an passé, on a aussi vu la création de l’OQDA – l’Observatoire québécois en droit animalier – qui a le mandat de faire avancer la recherche et l’éducation sur les droits des animaux.
Et, bientôt, en septembre, Suzanne Zaccour va publier un super livre sur le véganisme et le féminisme. C’est une avocate qui est aussi coach végane et qui transforme le monde une conversation à la fois.
À mon travail de coordonnatrice du Centre de justice sociale de l’Université Concordia, les choses changent aussi : toute la nourriture qu’on sert est végane.
Il y a clairement un progrès culturel en cours. Mais ces progrès tardent à changer concrètement les choses pour les animaux qui vivent et meurent enfermés aujourd’hui.
C’est pourquoi cette marche et la mobilisation des activistes sont si importantes : il y a urgence.
Des animaux ont besoin de notre aide maintenant.
Ça me fait du bien de vous voir aujourd’hui.
Je suis fière de marcher avec vous pour dire : fermons les abattoirs – maintenant !
Aujourd’hui, c’est une journée pour dénoncer et sensibiliser aux violences invisibles, cachées et niées.
Mais c’est aussi une journée pour se rappeler qu’on n’est pas seules.
Qu’on est nombreuses à pleurer. Nombreuses à être écœurées, fâchées, enragées de ce que nos sociétés infligent aux animaux.
Décider de faire notre part pour les êtres animaux, c’est tout ce qu’on peut faire individuellement, mais si on le fait ensemble, on a espoir de changer les choses.
Merci d’être ici aujourd’hui!
Christiane Bailey
Montréal, 16 août 2025