Journée nationale des droits des animaux
(National Animal Rights Day – NARD)
Montréal – 4 juin 2016
Discours de Christiane Bailey (version PDF)
Merci aux organisatrices et organisateurs de cette journée et à toutes celles et ceux qui sont parmi nous aujourd’hui.
On m’a offert de venir parler d’antispécisme et de convergence ou de solidarité des luttes.
Le mouvement antispéciste dénonce une idéologie dominante – la suprématie humaine – qui normalise les violences envers les animaux parce qu’ils ne font pas partie de notre espèce, de notre « groupe biologique ».
On se bat pour un monde qui prenne en considération la vie et les intérêts de tous les individus conscients, peu importe leur groupe biologique (leur espèce, leur genre, leur race) et peu importe leurs capacités ou incapacités cognitives.
L’antispécisme est un mouvement politique, un mouvement de libération qui s’oppose à la domination, l’exploitation, l’oppression et la mise à mort de tous les individus sensibles et vulnérables, peu importe leur groupe biologique ou leur intelligence.
C’est un combat contre cette forme d’humanisme-suprématiste qui nous enseigne que seuls les humains comptent moralement.
Contre cette forme de conception hiérarchique et suprémaciste du monde qu’on défend quand on demande d’être respectés parce qu’on est « tous humains » et qu’on est « pas des animaux ».
La convergence des luttes, c’est, comme vous le savez sans doute, le slogan adopté par le mouvement Nuit Debout qui a commencé à Paris et se tient maintenant dans plusieurs villes du monde, dont Montréal.
Des femmes et des hommes se rassemblent le soir pour pratiquer la démocratie citoyenne et rappeler que la démocratie, ce n’est pas les élections.
La démocratie n’a pas besoin de politiciens de carrière le plus souvent forcés d’être au service des industries et des corporations afin de financer leurs campagnes électorales.
Elle a besoin de gens qui s’organisent collectivement pour décider ensemble, démocratiquement. Pour s’entraider, protéger les vulnérables et bâtir un monde plus juste.
Cette démocratie, elle se pratique dans la rue, dans les parcs, dans les assemblées populaires, dans les coopératives et dans tous les endroits où l’on refuse les structures hiérarchiques et autoritaires.
Les luttes tournent de Nuit Debout autour des droits des travailleuses et des travailleurs, des luttes féministes, écologistes, autochtones, contre la fermeture des frontières aux réfugiées et plein d’autres causes sociales.
Plusieurs de ces Nuit Debout ont créé des comités antispécistes.
Ces comités sont parfois super bien reçus – comme ici à Montréal où la nourriture est végane et vient autant que possible des poubelles pour contrer et sensibiliser au gaspillage alimentaire – mais plusieurs se demandent souvent pourquoi on devrait parler des animaux quand tant de vies humaines sont ruinées, noyées, violées, assassinées.
C’est évidemment parce que chaque vie mutilée, ruinée et assassinée compte.
Peu importe que ça soit un individu qu’on aime ou un parfait étranger. Peu importe son degré d’intelligence, peu importe sont groupe social ou biologique (sa race, son genre, son espèce).
Quand on peut faire autrement, on ne devrait pas faire de mal ou de tort à tout individu qu’on est capable de reconnaître comme un être sensible, un soi vulnérable, un individu qui ce soucie de ce qui lui arrive.
Malgré toutes nos différences avec les animaux qu’on tient dans nos bras aujourd’hui, on partage avec eux l’essentiel : on ressent.
Pas juste de la douleur et de la souffrance, mais aussi de la joie, du plaisir, de l’attachement, de l’affection.
Comme nous, les animaux sont des individus à part entière qui devraient pouvoir vivre leur vie comme ils et elles l’entendent.
On ne veut pas réformer le commerce des animaux, mais l’abolir.
Les animaux ne sont pas des marchandises qu’on devrait pouvoir acheter et vendre.
Les animaux ne sont pas des ressources naturelles à exploiter de façon plus « durable ».
Ça signifie évidemment qu’on doit devenir végane et s’efforcer de miniser les torts qu’on leur cause.
Mais le véganisme, c’est pas seulement une diète (ça c’est le végétalisme) : les véganes s’opposent à l’exploitation animale au-delà de la nourriture. Pour le divertissement, les cosmétiques, les vêtements, etc.
Parce que le véganisme implique des changements profonds dans nos vies quotidiennes, on parle souvent du véganisme comme un mode de vie ou un « cruelty-free lifestyle ».
Mais le problème de réduire le véganisme à un mode de vie, c’est de laisser entendre que c’est une question de choix personnel et non une question de justice fondamentale qu’on doit aborder en tant que sociétés qui vise à être justes.
L’antispécisme est un mouvement politique qui vise à développer des relations plus justes et respectueuses envers les autres animaux en prenant au sérieux le principe selon lequel on ne devrait pas faire de mal aux animaux quand on peut faire autrement.
Tout le monde est capable de comprendre que tuer, enfermer, mutiler des animaux pour de la nourriture dont on a pas besoin est injuste.
Les arguments sont là : ce qu’on a besoin c’est de cœur et de courage.
Le courage de regarder ces animaux en face. Le courage de regarder ce qu’on leur fait subir pour nos moindres caprices.
Le courage de décider de ne plus participer autant que possible.
Mais le véganisme n’est pas seulement une volonté de ne pas personnellement avoir de « sang sur les mains ».
Être végane et s’efforcer de s’abstenir de faire du mal aux animaux, c’est évidemment louable et c’est beaucoup plus difficile qu’on le pense dans nos sociétés.
C’est aussi fondamental parce que changer nos comportements individuels, ça nous permet de voir les animaux différemment (voir les travaux de Martin Gibert sur la perception morale, l’imagination morale et la dissonance cognitive dans son livre Voir son steak comme un animal mort).
Devenir végane, ça permet aussi de mettre en pratique des alternatives.
Mais être végane au sens de simplement s’abstenir personnellement de faire du mal aux animaux, c’est encore beaucoup trop minimal.
Évidemment, les antispécistes doivent refuser de collaborer avec des institutions violentes, mais ce n’est pas suffisant.
On a aussi le devoir de dénoncer, d’éduquer et s’opposer activement aux violences que nos sociétés infligent aux animaux et le devoir d’interférer pour venir en aide aux animaux.
Il y a plusieurs formes d’actions directes que l’on peut prendre pour aider les animaux : on peut organiser des manifestations, des kiosques d’information, des conférences, des pétitions, écrire des lettres aux journaux, etc.
On peut aller filmer ce qui se passe dans les élevages et les abattoirs, par exemple.
On peut aller sauver des animaux des abattoirs et les amener dans des sanctuaires (comme le refuge RR qui est ici aujourd’hui).
Ça implique parfois d’enfreindre les lois parce que les animaux sont considérés légalement comme des propriétés.
Il y a des gros débats dans le mouvement sur les actions directes illégales dans le mvt.
Certaines s’opposent aux actions illégales et soutiennent qu’on doit défendre la libération animale tout en respectant les lois. Sauver des animaux, c’est du vol.
D’autres soutiennent que désobéir aux lois injustes est un devoir de citoyennes.
Le mouvement pour les droits des animaux est largement pacifique et non-violent.
Mais la non-violence, ce n’est pas du tout obéir aux lois, au contraire.
On a le devoir de ne pas obéir à des lois injustes.
Comme le dit bien Henri David Thoreau, chaque citoyenne et citoyen d’un pays libre a le devoir de désobéir aux lois injustes.
On vit dans un monde qui criminalise non pas la violence envers les animaux, mais le fait de leur venir en aide et de nuire à ceux qui les exploitent.
L’État criminalise moins le fait de détruire et de polluer les habitats des animaux sauvages que le fait de s’opposer activement aux sables bitumineux, aux pipelines, à l’industrie minière et forestière qui détruisent les habitats de tous les habitantes et habitants de la planète.
(Pour en savoir plus que l’éco-terrorisme et la criminalisation des activistes pour les droits des animaux et pour l’environnement, voir Green is the New Red de Will Potter).
Quand on voit ces lois qui criminalisent les activistes pour l’environnement et les droits des animaux, on se dit que notre lutte recule.
Quand on pense que chaque année, on égorge toujours plus d’animaux dans les abattoirs du monde que l’année précédente et que cela devrait doubler d’ici à 2050, on se dit que la lutte ne sert à rien.
2050, c’est aussi l’année ou on nous dit qu’il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans.
Depuis les années 70, on a causé la mort de la moitié des animaux vertébrés sur la planète (voir Living Planet Index de 2014).
Ça veut dire qu’en moins de 50 ans, en moins de 2 générations humaines, la population humaine a presque doublé et les populations d’animaux sauvages ont chuté de plus de la moitié (52%).
[C’est difficile à croire, je sais. On entend souvent parler en termes d’espèces, mais plus rarement en termes de population : 76% des populations d’animaux d’eau douce; 40% des mamiffères et 40% des animaux marins; 70% des oiseaux marins.]
On doit cesser de détruire, de polluer et de coloniser les territoires et habitats des animaux sauvages.
Quand on voit l’état de la planète, on peut avoir l’impression que la lutte recule.
Mais quand on voit autant de gens ici aujourd’hui et quand on pense que le livre de Élise Desaulniers sur le Défi 21 jours végane est au palmarès des meilleures ventes au Québec, on voit que la lutte avance aussi.
Que de plus en plus de gens prennent conscience.
De plus en plus de monde sont d’accord avec le véganisme et deviennent antispécistes.
De plus en plus de monde comprennent que la suprématie humaine n’est pas plus justifiée que la suprématie blanche ou le patriarcat.
De plus en plus de gens viennent aux manifestations pour reconnaître des droits fondamentaux aux animaux.
Ça me fait du bien de vous voir. De voir autant de monde.
Ça m’aide tellement de penser qu’il y a aujourd’hui et demain des gens un peu partout qui prendront des animaux décédés dans leur bras en leur disant : on ne vous oublie pas, on se bat pour vous, on fait ce qu’on peut.
C’est pas suffisant, évidemment.
Aucune excuse ne suffira. Mais s’excuser, c’est reconnaître nos torts et c’est le premier pas pour y remédier.
Décider de faire quelque chose pour les animaux, de faire notre part, c’est tout ce qu’on peut faire.
Mais si on le fait ensemble, on a l’espoir de changer les choses.
Pour ça, il faut aussi reprendre notre démocratie en main. Il faut reprendre le contrôle collectif de nos vies, de nos institutions et de nos sociétés.
Si on en appelle à la convergence des luttes, ce n’est pas simplement parce que les droits humains et les droits des animaux ont les mêmes fondemements moraux.
Si on en appelle à la solidarité des luttes, c’est aussi parce qu’on doit reconnaître que les diverses formes d’oppression et d’exploitation sont liées entre elles et qu’elles se renforcent ou se nourissent les unes les autres.
On doit comprendre que le spécisme alimente le racisme, et inversement.
Que l’enthnocentrisme renforce l’anthropocentrisme.
Que la suprématie blanche et la suprématie humaine se nourrisent mutuellement.
Mais je pense que les luttes antispécistes ont aussi besoin des luttes pour la justice sociale et des luttes citoyennes pour une plus grande démocratie.
Les animaux ont besoin de citoyennes et de citoyens plus libres et plus informées et qui ont plus de contrôles sur la manière dont leur société fonctionne.
On ne bâtira pas un monde plus respectueux des animaux tant que système économique sera contrôlé par une poignée de corporations qui ne recherchent que le profit.
Le combat antispéciste n’est pas seulement un combat contre la suprématie et la tyrannie humaine, mais aussi un combat contre le capitalisme.
C’est aussi un combat contre le patriarcat qui dévalorise le souci pour les animaux comme de la sensiblerie féminine et qui nous dit qu’un vrai homme ça chasse et ça mange de la viande.
C’est aussi un combat contre le capacitisme, qui dévalorise la vie des personnes en situation de handicaps cognitifs ou physiques parce que leur vie n’est pas assez « rationnelle », « autonome », ou « indépendante ».
Le mouvement antispéciste doit prendre sa place au sein des autres mouvements de justice sociale : pas simplement parce qu’on se bat contre des ennemis communs, mais parce que le combat pour la justice est un combat contre toutes les formes d’oppression et de domination.
Je suis convaincue que les luttes antispécistes ont besoin des luttes sociales et écologistes, mais je suis aussi convaincue que les mouvements pour les justice sociale ont aussi besoin des luttes antispécistes.
***
On nous traite d’idéalistes. On nous dit que notre lutte est impossible.
On ne vivra jamais dans un monde sans spécisme.
On ne se débarrassera jamais de nos tendances anthropocentristes.
Mais on ne vivra probablement jamais dans un monde sans racisme, sans sexisme, sans discrimination envers les personnes en situation de handicaps ou envers les étrangers.
Mais c’est pas une raison pour cesser de se battre contre ces oppressions injustes.
Il y aura toujours des injustices, c’est certain. Et c’est pour ça qu’il faudra toujours se battre.
Merci de vous battre, merci d’être ici aujourd’hui !
Aujourd’hui, c’est une journée pour dénoncer et de sensibiliser aux violences que nos sociétés imposent aux autres animaux.
Des violences invisibles, des violences cachées, niées.
Mais c’est aussi une journée pour se rappeler qu’on est pas seules.
Qu’on est nombreuses à pleurer. Qu’on est nombreuses à être écœurées, fâchées, enragées de ce que nos sociétés infligent aux animaux.
Et c’est encore plus vrai chez les plus jeunes.
Cette journée a été organisée par des collectifs antispécistes par des étudiantes et étudiants du Cegep du Vieux et du Cegep St-Laurent.
Et c’est grâce à ces jeunes-là que j’ai confiance
Ce sont les nouvelles générations qui ont le pouvoir (et le devoir) de remettre en question les pratiques, habitudes et institutions léguées par les générations passées.
On a souvent tendance à présenter les droits des animaux comme étant en opposition et en conflit avec les droits humains.
L’humanisme-suprémaciste – cette forme d’humanisme qui nous enseigne que seuls les humains comptent moralement – a tout avantage à nous représenter, nous les défenseures des animaux, comme des antihumanistes, des gens qui sont « contre les êtres humains ».
C’est certain que les véganes antispécistes s’opposent à cette forme d’humanisme qui prétend que seuls les humains comptent moralement.
Mais on ne s’oppose pas aux droits humains, au contraire.
En défendant les principes antispécistes – en affirmant qu’on doit respecter tous les individus conscients (soi vulnérables) et non seulement les êtres rationnels (ou qui ont certaines capacités cognitives sophistiquées), non seulement celles et ceux qui font partie de notre groupe social ou biologique –, les véganes défendent aussi les droits de tous les êtres humains, en particulier des plus vulnérables, marginalisés ou différents.
Merci beaucoup !
Christiane
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